Ainsi donc malgré tous nos cris d’alarme
Nos vies en suspens, nos torrents de larmes
Vingt deux ans à pleurer notre frère Ibrahim
A rechercher la paix dans la prière et la rime
L’horrible scénario nous attend
Au détour d’une bonne vieille élection
D’un scrutin bien démocratique
L’unique régime politique
Paraît-il de loin le moins pire
Parce qu’il donne au peuple le droit
De choisir qui de la peste ou du choléra
Peut hypothéquer son avenir
Et à une bande de valets de nantis
Avides de pouvoir, de gloire et de privilèges
De marchander à vils prix ses acquis
Conquis de haute lutte et même ses rêves
Battre le pavé est bien vain
Pour un peuple dit souverain
Quand la loi permet de museler sa voix
A coups d’amendements et de 49.3
Lorsque ses élus de tout bord fond le choix
De faire une rente à vie de leur mandat
Du népotisme, un modèle social
A l’épreuve de la morale car légale
La lutte des classes n’est plus qu’une lutte de places
Où des vautours voraces remplacent de vrais rapaces
Le vote : une grosse farce de mauvais goût
Où des pigeons, des moutons et des dindons
Gavés de promesses, bercés de folles illusions
Se disputent comme chiens et chats la faveur des loups
Pendant que les médias leur servent
Sans modération, ni recul ni réserve
Leur sempiternelle soupe de langue de bois
Entre une ration de foot et de Hanouna
Bon appétit braves gens
Dormez sur vos deux oreilles
Le brave messie charmant
Les bras chargés de merveilles
Viendra un jour sur son beau cheval blanc
Nous sauver de l’inaction
De notre propension maladive à la résignation
A l’amnésie collective, de notre résilience aux trahisons
Pendant que de sinistres individus s’évertuent
A faire de notre monde une poubelle à ciel ouvert
La plus immonde planète du système solaire
Et du vice et des abus, les habits même de la vertu
Des décennies qu’ils nous méprisent
Qu’ils nous culpabilisent sur leur crise
Des erreurs de décisions qu’ils ont commises
Sous l’emprise de leurs éminences grises
Pour mieux nous diviser sur tout ce qui nous unit
Convertir en actions, devises et profits
Toutes les valeurs chères à nos cœurs
Et nos propres frères en ennemis de l’intérieur
Tous ceux qui n’ont pas la bonne couleur de peau
Le bon Dieu, le patronyme ou la fortune qu’il faut
Tous ces arrière-arrière-petits-fils
De métèques, d’indigènes
De bougnouls, de bamboulas, de macaques
Parqués dans les jungles urbaines
Que des milices fascistes infiltrées dans la police
Violent sans scrupule à coups de matraques
Des gueules de bavures policières
Ignorées des instituts de la statistique
Qui remplissent les lignes des faits-divers
Ainsi que des rubriques nécrologiques
Et qu’affectionnent tous les médias mainstream
Avec leur cortège de spécialistes consultants
Devisant sans vergogne sur nos blessures intimes
Avec l’empathie d’une machine à glaçons
Mais que savent-ils vraiment de nos vies
Mises au ban de la bonne Mère Patrie
Quand ils en mesurent seulement le poids
Au travers de débats de salons bourgeois
Que savent-ils donc de nos absents
Fauchés par dizaines à la fleur de l’âge
Que des journalistes fourbes et fainéants
Salissent à longueur d’émissions et de reportage
De nos p’tits frères qui très tôt apprennent
A vivre avec les joies du contrôle au faciès
Avec son lot d’humiliation régalienne
Par des escadrons haineux de CRS
Que savent-ils de ces familles de victimes
De la haine au quotidien et du racisme ordinaire
Qui en plus de leur deuil doivent en prime
Supporter de voir leurs bourreaux libres comme l’air
Si seulement ils savaient le chemin
Qu’il faut prendre pour raison garder
Croire en la bonté de l’être humain
Après un destin d’une telle cruauté
Construire des ponts de sourires
Quand l’amertume guide l’avenir
Déployer des trésors d’utopies curatives
Pour guérir l’âme de la haine maladive
Pour vivre avec le fantôme
Et la mémoire d’Ibrahim Ali
Et rester parmi les hommes
De bonne empathie
Au rythme des ratonnades
Battent nos cœurs meurtris
Des discours de façade
Contre nos vrais ennemis
A trop avaler leurs salades
Le monde souffre d’apathie
Alors je prends le parti des malades
Qui vivent encore d’amour et d’utopie
A Théo, Adama, Bouna, Zyed… et tous les autres victimes du racisme et de la haine
Mbaé Tahamida Soly
21 février 2017
« L’oiseau de nos amours s’est envolé sous un ciel de février. Colère a croisé l’épée contre Dignité. Finalement, ensemble elles nous ont guidé. Qui êtes-vous ? Nous sommes venus d’un lointain pays pour écouter le chant d’un autre coq, mais nous n’entendons que le chant de la haine. Nous nous sommes donné la main, fils de mon fils, et nous avons marché. Qui êtes-vous ? Nous sommes des hommes, nous sommes des femmes et voici nos enfants. Ils ne sont ni à vendre ni à sacrifier. Ils sont la continuité de notre existence. Nous sommes blessés et nos pas hésitent. Nous entendons le cri de l’enfant. »
Salim Hatubou, dans
Métro Bougainville
Editions Via Valeriano, 2000