Raconte-moi encore Grande sœur
Ta longue marche pour l'égalité
Que des esprits sournois et étriqués
Ont tôt fait de baptiser Marche des beurs
Ta croisade inlassable contre le racisme
Dans la France malade de ses ratonnades
Ton djihad citoyen face aux feux du fascisme
Et tous les beaufs chasseurs d'arabes
Ces hordes sauvages partisanes d'un Ordre Nouveau
Aux accents d'un Méridional aux éditos de caniveau
Appels au lynchage, expéditions punitives, assassinats en série
Agressions gratuites, attentats meurtriers au consulat d'Algérie
Nervis de l'OAS, Charles Martel, le FN et compagnie
Agents de police, CRS, Civils, militaires de carrière
Réunis en milices et dans la surenchère identitaire
Sévissent dans une quasi apathie générale dans tout le pays.
De Grasse à Izeron, de la Ciotat à Toulouse, de Marseille à Paris
La France renie les pupilles issues de ses anciennes colonies
Leurs manifestations pacifiques réduites à des émeutes d'indigènes
Leur soif immense de justice étouffée à la bombes lacrymogènes
Leur grève de la faim brisée à coups de lances à incendie
Afin d’éteindre les voix qui crient à la hogra de la Mère patrie
Les arabicides classés sans suite pour flatter la xénophobie
Des crimes odieux punis au mieux par des non-lieux ou du sursis
Houthi, parle-moi de tes nuits d'insomnie et de sueur froide
De ces pasteurs indignés de la CIMADE, de tes camarades
Partis en battant les pavés d'insultes jusqu'à leur dernier soupir
Poing levé vers le ciel pour un monde fraternel qui tarde à venir
À quand enfin la retraite pour ce cœur en miette qui saigne
Une douleur muette nommée Lahouari, Saïd, Lounes, Zahir
Et la fin de ta lutte sans merci contre les rentiers de la haine
En mémoire d’Abdelwahab, Rachid et tant d'autres martyrs
Quarante ans d'éveil, de veille et de combat contre une bête intime et ordinaire
Et les mêmes slogans indignes reviennent profaner l'ossuaire de tes frères
Une musique aux accents grégaires qui fait tourner les têtes
Dans toutes les chaumières de patriotes en mal de reconquête
Quatre décennies de déni français à cultiver le plus vil de l'âme humaine
A tolérer des idées nauséabondes au nom de la devise républicaine
Quand l'Histoire nous enseigne où mènent ces théories malsaines
Déversées sans gêne à longueur d’antennes sur toutes les chaînes
Quarante ans de cynisme à perfuser le pays d'aigreur, de rancœur
Et d'aucuns s'étonnent que la haine gangrène les esprits et les cœurs
De ta peur de revivre ces années de terreur, de de larmes, de pleurs
Quand dans les manifs et contrôles de police seuls tes enfants meurent
Quatre décennies d'une vie dédiée au rêve éveillé d'un monde meilleur
Une âme libre et rebelle bercée par l'espoir d'une société égalitaire
Quarante ans à marcher pour écrire la mémoire de tous tes êtres chers
Dont les pages blanches de l'Histoire omettent et les prénoms et la couleur
Houthi, comment fais-tu pour tenir sans haïr ni trahir ta ligne de conduite
Quand la relève s'épuise et/ou milite pour le droit à l'oubli ou la fuite
Consciente de vivre dans un état où les abjections d’hier sont des idéaux
Quand du passé, le présent convoque en héros les pires salauds
Grande Sœur, apprends-moi ta patience lorsque l'avenir me désespère
À marcher avec dignité et confiance lorsque les nouvelles obscurcissent ma raison
À ne pas tomber dans la vengeance quand un deuil injuste frappe une mère
À toujours aimer la France même lorsqu’elle dédaigne mes sentiments
A Rachid Mouka, Saïd Aounallah, Abdel Wahab Hemahoum, Ladj Lounès, Hamou Mebarki, Saïd Ghilas, Bensaha Mekernef, Zahir Boudjelal, Lahouri Ben Mohamed, Mohammed Ben Brahim et tant d'autres martyrs
À tous les Marcheuses et Marcheurs
Vos petits frères et sœurs
Vos enfants et petits-enfants
Reconnaissants
Mbaé Tahamida Soly
15 octobre 2023