J’habite un îlot désert d’intimes douleurs
Tatoué à vie sur ma peau couleur ébène
Une enfance bohème de rappeurs bêtes de scène
Exilés par la haine à l’ombre du bonheur
Avec mes frères et sœurs j’y traine mes peurs, mes peines
Je connais par cœur toutes les rues qui y mènent
Allez, viens je t’emmène là ou on a perdu nos sourires d’enfants
Là où la main du destin nous a descendu en pleine ascension
Quatre chemins sombres maculés d’affiches tricolores
Dégoulinant de névrose, de délires, de xénophobie
Et tapis dans la pénombre, trois nervis d’un parti nazi
Armés de pistolets chargés, prêts à répandre la mort
Un, deux, trois… cinq… puis neufs coups de feu
Sur des gamins qui courent après un bus pour rentrer chez eux
La-haut dans la colline, au terminus du 30 à la Savine
Les bras chargés de vinyles, de tables de mixage, de platines
Après la stupeur, la frayeur, leur instinct de survie
Les pousse à faire demi tour pour trouver un abri
Mais pas de pot, aucun refuge où sauver sa peau
Une balle de LR atteint l’un des minots dans le dos
Son nom : Ibrahim Ali Abdallah alias Chibaco
Ils m’ont eu ! Maman j’ai mal ! Ce sont ses derniers mots
Non, il ne s’agit pas du tout de la séquence d’un polar américain
Cela s’est produit en France, pays des droits de l’homme et patin couffin
Patrie des Eric, des Corinne et non des Mohamed ou des Hafsatou
Où le fric, le patronyme donnent même à des vilains poux
Des gages de francité profonde synonyme de bon goût
Surtout à celui qui a le privilège de naître babtou
Pour nous, que tu t’appelles Adama
Lamine, Amine ou bien Théo
T’as beau faire tout ce qu’il faut pour mériter le respect
L’égalité en droit devant la loi
C’est toujours le même topo
Quelque soit le scénario du film, t’es le parfait suspect
Celui dont on doit se méfier comme de la peste noire
Alors on lui fait voir de toutes les couleurs histoires
Qu’il se mette bien dans sa p’tite tête de méthèque
Qu’on ne tolère sa présence qu’à la condition qu’il se soumette
Sans brancher aux contrôles au faciès, aux abus
Aux règles du maitre, aux violences et bavures policières
Hors des caméras de surveillance bien entendu
Des fois qu’une matraque se perdrait dans son derrière
Là, on gaze à gogo à coup de lacrymo, on éborgne
On cogne sur des mômes, on humilie des jeunes hommes
Qui ont le tort de porter une peau noire comme gilets jaune
On les somme d’abjurer leurs ancêtres et leurs icones
De courber l’échine même lorsqu’on foule leur dignité au pied
Parce qu’ils ont l’insigne honneur de vivre le rêve français
Même relégués aux confins de banlieues malsaines
Aux durs labeurs et aux tâches subalternes
Faut pas qu’ils la ramènent ou qu’ils aspirent à mieux
Et si ça les gêne, ils n’ont qu’à se plaindre à leur bon Dieu
Ou penser au sort de plus malheureux qu’eux
Par exemple ces migrants qui risquent leur vie en mer
Pour venir manger le pain de nos gueux
Aussi qu’ils arrêtent leur comédie sur la misère
Enième génération de français après nos aïeux
Et toujours des indigènes de la République à leurs yeux
Ils réduisent nos révoltes à des émeutes de racailles
Nos martyrs à des dommages collatéraux, des détails
Citoyens entièrement à part dans leur système de caste
Où les médailles d’honneur se distribuent à la couleur et à la carte
Demandez un peu à Bilal Hassani
Ce qu’il en coûte de porter la voix de son pays
De vouloir en être Roi
Quand on est LGBT de surcroît
Et Mbappé, qui malgré son talent, son argent, ses trophées
Est traité par des fafs décérébrés d’«enculé de nègre enjuivé »
En douce France, les idées ronces
Et l’intolérance avancent et font convergence
Luttes pour le vivre ensemble et causes humanitaires au contraire
Buttent sur les crises, les psychoses et querelles identitaires
Des leitmotiv d’impostures érigés en principes politiques
Par des professionnels de la manipulation médiatique
Si bien que chacun prêche pour sa paroisse et dénigre son voisin
Même celui qui vit les mêmes angoisses, les mêmes chagrins
Pour ce faire, à chaque échéance électorale
On installe un climat de peur et de haine
Sur le thème de l’identité nationale
Et bien sûr c’est primordial :
Le Saint Graal du mème
Le péril de l’islam, du voile et du halal
Afin de « mettre au pas les musulmans »
Pour lutter contre l’antisémitisme évidemment
Non, il ne s’agit pas ici des délires d'une personne psychotique
Mais de la pensée, pesée assumée d’une élue de la République
Après tout l’islamophobie ça ne mange pas de pain
Et peut même rapporter gros à chaque scrutin
J’habite rue Colbert, un de leur héros
Celui qui naguère élabora le Code Noir
Près de la Station de métro qui porte son nom
J’habite rue Colbert, un de nos bourreaux
Celui là même qui codifia la traite des Noirs
Mais toujours pas de rue Ibrahim Ali à l’horizon
Mbaé Tahamida Soly 21/02/2019